Le mensuel pratique et technique
du kinésithérapeute

Pression positive continue après résection pulmonaire : un essai clinique randomisé

Philippe Le Masson, Benoît Tissot
Kinésithér Scient 2014,0555:57-58 - 10/06/2014

En 2014, L. dos Santos Roceto et al. publient dans le Sao Paulo Medical Journal les résultats d’un essai clinique randomisé cherchant à évaluer les effets de la CPAP (Continuous positive airway pressure – en français, pression positive continue dans les voies aériennes) après exérèse pulmonaire [1].

Les patients relevant d’une chirurgie d’exérèse pulmonaire sont tout particulièrement exposés aux complications respiratoires dans la phase postopératoire immédiate : surencombrement bronchique, atélectasie, bullage prolongé, insuffisance respiratoire aiguë (IRA)… Ces complications peuvent allonger la durée de ventilation mécanique invasive (VMI) et la durée d’hospitalisation. La CPAP administrée par masque nasal ou facial semblerait permettre de rapidement restaurer la capacité résiduelle fonctionnelle (CRF) à sa valeur préopératoire, d’améliorer l’oxygénation, de prévenir la fatigue des inspirateurs, et d’éviter la réintubation liée à la survenue d’une IRA [2-4].

L’étude de L. dos Santos Roceto et al. [1] compare les effets du traitement post-opératoire immédiat par kinésithérapie  respiratoire seule (KR) à celui par KR et CPAP (KR + CPAP) sur l’oxygénation, la dyspnée, la douleur, la durée de séjour et la durée du bullage.

Sao Paulo Medical Journal, organe
officiel de l'Association pauliste
de médecine (APM) adhérente à
l'Association médicale brésilienne (AMB)
Disponible en ligne sur
www.spmj.org.br/home.asp?lang=pt-br

Soixante patient(e)s âgé(e)s de 45 à 60 ans réunissant tous les critères d’inclusion sans présenter aucun des critères d’exclusion retenus furent initialement enrôlé(e)s pour cette étude et affecté(e)s à l’un des deux groupes par tirage au sort (randomisation) entre octobre 2007 et novembre 2009.

Secondairement, après ouverture chirurgicale et/ou diagnostic postopératoire, 10 patient(e)s de chaque groupe, soit 20 au total, furent récusé(e)s pour cette étude : non opérabilité (n = 5), nodulectomie simple (n = 12), dépendance à la VMI post­opératoire (n = 1), agitation et désorientation postopératoires (n =1) et intolérance à la CPAP (n = 1).

Après évaluation préopératoire (épreuves fonctionnelles respiratoires, gazométrie artérielle de base, éducation kinésithérapique…), les patient(e)s furent tou(te)s opéré(e)s par thoracotomie postéro-latérale avec épargne musculaire (lobectomies (n = 28), bi-lobectomies (n = 2) et pneumonectomies (n = 10). Le drainage pleural fut assuré chez tou(te)s les patient(e)s par des drains de 38 FG (French Gauge, avec 1 FG = 1/3 mm) sauf chez les pneumonectomisé(e)s qui, classiquement, n’étaient pas drainé(e)s.

L’analgésie postopératoire était assurée par cathéter rachidien et les antalgiques de mise dans ces cas, centraux et périphériques. Tous(tes) les patient(e)s furent opéré(e)s par le même chirurgien. Les patient(e)s furent réévalué(e)s dès le réveil acquis et entre 2 à 4 heures après l’extubation.

Le groupe KR seule (10 femmes et 10 hommes) fut traité par drainage bronchique, ventilation dirigée, spirométrie incitative, mobilisation active des membres supérieurs et inférieurs. Des bronchodilatateurs furent administrés si besoin. L’oxygène fut administré en quantité suffisante pour maintenir la saturation artérielle au-dessus de 90 %.

Le groupe KR + CPAP (7 femmes et 13 hommes) fut traité par adjonction à la KR de séances de CPAP. Le niveau de pression fut ajusté, en fonction de la tolérance du patient, entre 7 et 8,5 cmH2O afin que la fréquence respiratoire reste inférieure à 30. Dans les deux groupes, le traitement fut administré 5 fois à chacun(e) des 40 patient(e)s : une seule fois le jour de l’intervention (J0) et deux fois les jours suivants (J1 et J2). La durée d’une séance de CPAP fut de deux heures, mais celle d’une séance de KR n’est pas précisée dans le texte…

L’évaluation spirométrique postopératoire fut pratiquée à distance, après la sortie de l’hôpital. Les GDS furent analysés à J0, J1 et J2 et le rapport PaO2/FiO2 calculé. Le bullage éventuel fut contrôlé et évalué quotidiennement jusqu’à l’ablation du dernier drain, décidée après plus de 24 heures sans bullage, et une production liquidienne inférieure à 200 ml en 24 heures. La douleur fut évaluée avant et après les séances par échelle visuelle analogique (EVA). De même, la dyspnée fut évaluée sur l’échelle de Borg [5].

L’analyse statistique repose sur le test du chi carré (χ2) et le test exact de Fisher. L’analyse de variance est faite par ANOVA et par le test de comparaison multiple de Tukey. Le seuil de significativité retenu pour l’analyse des résultats de cette étude est
p < 0,05 [6].

Dans le groupe KR, le rapport PaO2/FiO2 était toujours significativement plus bas que dans le groupe KR + CPAP (p = 0,042). Le bullage fut significativement plus fréquent à J0 et J1 (respectivement p = 0,001 et p = 0,028) dans le groupe KR + CPAP, mais à J2 et J5 la différence n’était plus significative (respectivement p = 0,105 et p = 1). S’il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes quant à la l’évaluation de la douleur à J0, J1 et J2, la dyspnée était significativement moindre dans le groupe KR + CPAP à J0 (p < 0,001) mais était significativement identique les jours suivants.

Bien que cette étude semble présenter des risques non négligeables de biais méthodologiques (choix des critères d’évaluation, subjectivité de l’évaluation du bullage, méthode de calcul du rapport PaO2/FiO2 selon le débit d’administration de l’oxygène non précisée après l’extubation, faible taille de l’échantillon étudié, étude en simple aveugle…), ses résultats semblent néanmoins plaider en faveur du recours à la CPAP en complément de la KR dans la prise en charge respiratoire après chirurgie d’exérèse pulmonaire, comme le montrent déjà de nombreux autres textes [7, 8, 9].

De plus, les auteurs rappellent aussi les difficultés institutionnelles et financières qu’ils ont rencontrées pour mener à terme leur travail. Ceci ne saurait que nous interroger sur le réel statut de la recherche paramédicale, et plus particulièrement kinésithérapique (formations méthodologiques initiale et continue, moyens humains, techniques et financiers dédiés…), au sein des établissements hospitaliers français, publics et privés, malgré les volontés institutionnelles souvent annoncées de la promouvoir.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Dos Santos Roceto L et al. Continuous airway pressure (CPAP) after lung resection: A randomized clinical trial. Sao Paulo Med J 2014; 132(1):41-7.
[2] Perrin C et al. Prophylactic use of noninvasive ventilation in patients undergoing lung resectional surgery. Respir Med 2007;101(7): 1572-8.
[3] Benditt JO et al. Novel uses of noninvasive ventilation. Respir Care 2009;54(2):1572-8.
[4] Battisti A et al. Noninvasive ventilation in the recovery room for postoperative respiratory failure: A feasibility study. Swiss Med Weekly 2005;135(23-24):339-43.
[5] Kendrick KR et al. Usefulness of the modified 0-10 Borg scale in assessing the degree of dyspnea in patients with COPD and asthma. J Emerg Nurs 2000 Jun;26(3):216-22.
[6] Ambrosino N et al. Physiotherapy in the perioperative period. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2010;24(2):283-9.
[7] Agostini Pet al. Incentive spirometry following thoracic surgery: What should we be doing? Physiotherapy 2009;95(2):283-9.
[8] Overend TJ et al. The effect of incentive spirometry on postoperative pulmonary complications: A systematic review. Chest 2001;120(3): 971-8.
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